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TEILLET YVES

 

 

Destin admirable que celui d'Yves Teillet : sans doute est-il peu d'exemples d'un accord aussi parfait, aussi émouvant, entre les aspirations intimes d'un adolescent et leur réalisation allant jusqu'au sacrifice suprême. Son destin, Yves Teillet ne l'a pas subi : il l'a rêvé, il l'a préparé, il l'a vécu.

Né le 26 août 1923, il avait 16 ans à peine et était encore sur les bancs du lycée Gouraud lorsqu'éclata la guerre. Cette guerre, il en suivit fiévreusement toutes les péripéties : il ressentit au plus profond de son être l'effondrement de la France en 1940 et ne vécut désormais qu'en songeant à combattre un jour pour le salut de la patrie.

Dès 1939, il suit les cours de préparation militaire et obtient son brevet ; en 1940 quand on songe à organiser la résistance en Afrique du Nord, il s'engage dans les formations territoriales qui ne dureront que quelques semaines ; plus tard, il fera par deux fois de vaines tentatives pour rejoindre les forces françaises libres. Même lorsqu'avec ses camarades scouts et lycéens il pratique les sports, rugby, tennis, natation, aviron, lorsqu'il apprend à conduire une auto, c'est avec l'arrière-pensée de devenir un meilleur soldat, c'est pour être en mesure de mieux servir le moment venu.

Ce moment arrive enfin avec le débarquement allié.

Yves, alors âgé de 19 ans, rêve de se battre comme pilote aviateur, mais il craint que l'instruction d'un aviateur ne soit trop longue pour lui permettre de participer au combat, et, s'imposant un nouveau sacrifice, il renonce à ce rêve bien cher. En février 1943, il est incorporé au 1er régiment de chasseurs d'Afrique et après quelques mois d'instruction fait partie de l'équipage d'un char d'assaut. Ils sont désormais trois frères sous les drapeaux : Yves, son frère jumeau André et son aîné Jean, trois frères élevés dans le respect du devoir et l'amour du sacrifice.

Les deux jumeaux, Yves et André, font tous deux partie de la

5e D.B. ; ils débarquent en septembre 1944 dans le Midi de la France et participent aux combats qui amènent leur unité jusqu'en Alsace. Mais la résistance ennemie s'est raidie progressivement et, en terre alsacienne, les combats sont acharnés. Yves « toujours souriant » écrira un camarade, est au plus fort du danger. Le 17 décembre il a perdu son chef de peloton mortellement blessé dans son char à ses côtés. Le lendemain 18 décembre, à l'attaque de Kayserberg, le peloton de chars auquel il appartient s'est engagé fort avant dans le village ; mais 150 S.S. retranchés dans la Kommandantur ont laissé passer les 4 premiers chars pour attaquer violemment et détruire le cinquième à coups de grenades et de panzerfaust, empêchant la progression de tout autre véhicule. Les quatre chars de tête, dont celui d'Yves, sont pris dans une

souricière ; il faut que quelqu'un se dévoue pour aller chercher l'infanterie américaine. Le lieutenant demande deux volontaires pour cette mission extrêmement périlleuse, car l'ennemi est là qui guette.

C'est l'heure du destin qui sonne pour Yves : il l'a trop longtemps attendue pour la laisser passer. « Tout joyeux » écrit son meilleur ami, il s'offre avec un camarade. Ils font un bond, puis un deuxième; mais les rafales crépitent, violentes autour d'eux. Yves reçoit une balle dans le ventre ; son camarade est blessé aussi. Une heure après environ, ils pourront être dégagés et secourus : transporté par les Américains à l'infirmerie d'Aubure, Yves succombera peu après. C'est le Père Raphaël qui prononcera l'éloge funèbre de son ancien élève de l'école de Foucauld et du lycée Gouraud et qui l'accompagnera au cimetière de Riquewihr où Yves est inhumé le lendemain du jour où son frère jumeau André est blessé lui aussi à quelques kilomètres de là.

Une citation à l'Ordre du corps d'Armée, éloquente dans sa sobriété, rend, à l'héroïsme discret d'Yves Teillet, l'hommage qui convient :

« Teillet Yves, excellent équipier de char ayant participé à de nombreux combats. Son poste de chargeur ne lui permettant pas à son gré de se battre, a été volontaire pour une liaison à pied.

A été mortellement blessé au ventre dans l'accomplissement de sa mission, le 18 décembre à Kayserberg ».

Cette citation comporte l'attribution de la Croix de guerre avec étoile de vermeil.

Les émouvants témoignages de sympathie que ses chefs et ses camarades ont prodigué à sa famille montrent combien la hauteur d'âme et l'abnégation souriante d'Yves avaient rayonné autour de lui, combien elles avaient été comprises et senties.

Le secret de cette existence, admirable dans son unité, nous le trouvons dans cette phrase que, bien des fois, Yves avait répétée à ses parents : « On doit être fier de combattre et de mourir pour la France ». Ainsi que nous l'écrivait celle qui, ce jour là, se penchait sur la tombe du petit cimetière de Riquewihr comme elle s'était penchée sur toute la vie d'Yves : « Le sacrifice de sa vie, il l'avait fait au départ, simplement, honnêtement, comme une chose toute naturelle ».